Polémique sur les affiches détournées : les Survivants en première ligne
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Reportage. Stupeur ce matin dans le métro parisien : en pleine actualité présidentielle, les passagers ont pu découvrir des pancartes publicitaires où les principaux candidats appellent… à la défense de la vie ! Récit d’une – nouvelle – opération d’agit-prop.
Rejoindre le lieu du rendez-vous n’avait pas été facile. « Vous utilisez Telegram ? » avait questionné mon interlocuteur. Système de messagerie mis au point par les Russes et reposant sur un cryptage particulièrement efficace, Telegram, également très prisé des djihadistes, ne m’était pas familier. « Le lieu du précédent rendez-vous ne convient plus ? » avais-je hasardé. La réponse s’était faite dans un rire. « Non, quelqu’un nous a balancés, notre dernière réunion s’est terminée au milieu des policiers, je ne tiens pas à ce que ça se reproduise… » L’adresse et l’horaire finalement communiqués, rendez-vous fut donc pris, assorti de la défense de mentionner aux personnes présentes ma qualité de journaliste.
A l’étage d’un bâtiment anodin, dans une salle de réunion anonyme, quelques jeunes – garçons et filles – partagent l’apéro. Principalement des étudiants, quelques jeunes actifs. L’assemblée bientôt complète – une quarantaine de personnes – le temps est venu de passer à la présentation de l’action. « Vous le savez, commence Marc, un des membres des Survivants après que le silence se soit fait, l’avortement est un sujet difficile, qui fait souffrir. C’est aussi un sujet a-politique même si certains courants de pensée sont plus sensibles que d’autres à ce sujet-là. Nous avons voulu utiliser l’actualité médiatique pour continuer à toucher les consciences, à interpeller les citoyens qui seront allés voter trois jours plus tôt… »
« Nous sommes les 220 000 voix qui vous manquent »
Marc présente alors cinq grandes affiches (voir ci-dessous), des cinq principaux candidats, rendues publiques sur le site des Survivants le jour même et qui ont déjà commencé à tourner sur les réseaux sociaux. L’accroche – « nous sommes les 220000 voix qui vous manquent », fait évidemment référence au nombre d’avortements pratiqués chaque année en France. Les logos des partis sont détournés, ainsi que les thèmes de prédilection de chacun des candidats, de manière du reste assez bienveillante (« camarade embryons », « front fœtal », « en marche… pour la vie » etc.)
Maintenant, où et comment diffuser le message ? « Le procédé est simple, explique un certain « Monsieur Paul ». Vous envoyez via Telegram au numéro suivant la question : « qui a tué Pamela Rose ? » On enregistre les candidatures et on vous tient au courant du lieu et de l’horaire du rendez-vous, dans quelle équipe vous serez placé, etc. Il nous faut une centaine de volontaires pour mener à bien la mission. »
Suit un court topo, photos et vidéos à l’appui, sur l’aspect strictement technique de ladite mission, dont les contours se précisent. « Vous voyez tous à quoi ressemblent les vitrines publicitaires dans les rames du métro, enchaîne un grand gaillard maghrébin vêtu d’un costume sobre. Il y a deux modèles : un petit et un grand. C’est le grand qui nous intéresse. Il y en a deux par wagon, sauf dans les wagons de tête. Des deux serrures, l’expérience montre que seule une est bloquée, en général celle du dessus. Munissez-vous d’un tournevis à tête plate, assez long. Faites attention à la vitrine : si vous ne la retenez pas, elle va s’ouvrir et venir taper violemment sur la paroi du wagon. Ça peut faire mal et ça va faire du bruit. » A les en croire, eux qui ont répété en situation réelle l’opération pour les besoins de la préparation, le « coup de main » vient vite. « En vous débrouillant bien, répartis en plusieurs équipes, vous pouvez faire une rame par station. Vous descendez, attendez la rame suivante et ainsi de suite jusqu’à la fermeture du métro. »
« On ne va pas en garde-à-vue pour avoir collé une affiche »
« Monsieur Paul » aborde ensuite l’« impact » espéré de la mission. Le discours est carré, chiffré, presque professionnel. Les « slides » s’enchainent, présentant les lignes visées, le nombre de rames, la répartition des stations. « Une ligne entièrement équipée, c’est 500000 personnes touchées. Pour les annonceurs habituels, ça leur coûte la bagatelle de dix à quinze mille euros. » On ne saura pas combien l’impression de ces centaines d’affiches cartonnées munies de leur scotch double-face a coûté à l’association.
Vient le tour des questions. « On risque quoi ? » hasarde une étudiante. « Rien du tout ! Munissez-vous d’un ticket en règle, c’est tout, plaisante Marc. La sécurité de la RATP ne passe pas dans les rames. Vous ne cassez rien, vous ne gênez pas les voyageurs. Au pire présentez votre pièce d’identité, s’il y a une amende parce qu’on vous a pris en flagrant délit, nous règlerons ça… Mais rassurez-vous : on ne va pas en garde-à-vue pour avoir collé une affiche… » Devant la polémique qui a rapidement surgi, mercredi matin, sur les réseaux sociaux, la RATP, soupçonnée un temps d’avoir accepté une campagne de publicité officielle, a annoncé qu’elle portait plainte.