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Pour ou contre l'éducation bienveillante?

POUR – Béatrice Sabaté : une posture bénéfique

Béatrice Sabaté, psychologue clinicienne et présidente de l’Association Discipline positive France, a traduit et adapté le best-seller de Jane Nelsen et Lynn Lott, La Discipline positive.


Une position lucide

Un postulat éducatif s’inscrit en toile de fond de la Discipline positive : « On fait mieux quand on se sent mieux », que ce soit à l’école ou dans la famille. Il émane de Jane Nelsen, théoricienne de la Discipline positive aux États-Unis. Le développement de l’enfant est favorisé lorsque l’environnement dans lequel il grandit n’est pas punitif, mais au contraire encourageant et structurant – hypothèse confirmée par les neurosciences.


Une démarche constructive

La Discipline positive n’est pas une méthode, c’est une démarche qui vise à développer une posture éducative ferme et bienveillante, qui favorise le bien-être de tous les enfants. Quand on ne s’appuie pas sur cette ossature, on peut basculer dans l’outil ou la manipulation. Depuis des siècles, on fait de la fermeté de l’autoritarisme et de la bienveillance du laxisme. Pourtant, la fermeté est le respect de la règle, de l’interdit, des consignes, du cadre. Et la bienveillance est tout sauf l’enfant roi. En Discipline positive on peut remplacer ce mot par « connexion à l’autre ».

Voici un exemple où fermeté et bienveillante vont de pair. À l’école, j’ai eu quatre élèves dissipés. Je leur ai rappelé le cadre : « Ça ne fonctionne pas, on ne peut pas travailler. Voulez-vous vous calmer un peu plus loin ou respecter le calme demandé ? » J’ai posé la question à chacun, en leur laissant le choix de changer de place ou de rester en retrouvant leur calme. Le ton est important. Bilan, ils sont restés et se sont calmés, en se connectant à moi et aux autres élèves. Il n’y a pas une seule façon d’être ferme et bienveillant, de reformuler une question, de chercher une solution. Si on applique les mêmes outils pour tous sans les inscrire dans une intention plus large, on bascule bien entendu dans la boîte à outils et la méthode perd son sens.


Mieux poser son autorité

Avec la Discipline positive, le parent ne lâche pas le contrôle, il le partage. C’est à lui de poser les interdits. Certains sont non négociables et différents pour chaque famille, comme de se coucher à une heure limite. Je ne les remets pas en cause, mais on peut partager avec l’enfant sur la manière de respecter ce qui n’est pas négociable. On peut conserver son autorité parentale, transmettre ce qui est important pour lui. Mais cette transmission, loin d’être exclusivement verticale, doit être une opportunité de co-construire l’éducation. Plus on implique les enfants dans cette construction, plus ils auront envie que l’édifice tienne debout.


Se mettre à hauteur d’enfant n’est pas synonyme de laxisme 

L’enfant roi naît de la permissivité. Or, la Discipline positive n’est pas permissive. Je comprends que ce soit une peur de changer de posture, car quand on a été mis dans une posture de sachant pendant des siècles, il est difficile de ne pas avoir peur de perdre le contrôle, mais ce changement s’accompagne – ce que tente de faire Jane Nelsen.


La punition n’est pas nécessaire

La punition a pour objectif d’aider le jeune à prendre ses responsabilités, à le mettre en face des conséquences de ses actes. En Discipline positive, on va avoir les mêmes objectifs, mais sans être dans la rébellion, la retraite, la revanche. Par exemple, faire recopier à l’enfant le règlement intérieur quand il oublie ses affaires est une humiliation tournée vers le passé qui ne lui enseigne rien.

En Discipline positive, on parle plutôt d’action éducative et réparatrice : on va chercher à dynamiser la réparation en cherchant des solutions. On va proposer à l’enfant, par exemple, de trouver trois idées qui vont l’aider à ne pas oublier ses affaires. Par cette action réparatrice, l’enfant peut apprendre de ses erreurs. Quand un parent parvient à s’inscrire dans cette logique, loin d’être dans le monde des Bisounours, il est un parent ferme et bienveillant. 


CONTRE – Emmanuel Jaffelin : un formatage trop dogmatique

Le philosophe Emmanuel Jaffelin est l’auteur d’une Apologie de la punition (Plon, 300 p., 17 €) et de plusieurs traités sur la gentillesse.


Un postulat naïf

L’éducation positive s’appuie sur la découverte selon laquelle le cerveau se développe mieux dans un environnement tendre et empathique. Elle affirme que si l’on est méchant avec un enfant, il sera envahi par des émotions qui affecteront son cerveau et le rendront méchant à son tour. Inversement, un enfant entouré d’amour deviendra aimant. Ces découvertes rejoignent les travaux, dans les années 1990, du psychologue américain Martin Seligman, père de la psychologie positive.

En mettant l’accent, non sur ce qui est pathologique dans l’homme, mais sur ce qui est positif en lui, comme la bienveillance ou l’empathie, il pensait possible de gommer ses zones d’ombre. Mais bien des psychologues n’y croient pas ! L’enfant est plus complexe que cela. Bien sûr, tout le monde trouve intéressant d’user d’empathie et de bienveillance envers un enfant. J’ai moi-même écrit quatre livres sur la gentillesse. Mais l’homme est-il capable de se développer uniquement sur cette base ? Personnellement, je trouve cette vision très naïve.


Un formatage

Dans la lignée de la philosophie positive d’Auguste Comte, qui congédie métaphysique et théologie, cette théorie éducative sacralise la science en y voyant la source de toutes nos clés du bonheur. Or, la science procède forcément par réduction. Elle isole et étudie un élément de la psychologie et dit ensuite quel comportement il faut adopter, comme si les enfants devaient être formatés. Le fait que Seligman ait été mis en cause dans la conception du programme de torture de la CIA, en 2015, indique que ces découvertes scientifiques peuvent être mises – y compris parfois par leur auteur – au service de la manipulation psychologique.


Accepter de poser son autorité

Les propositions de l’éducation positive sont valables jusqu’à l’âge de 3 ans, c’est-à-dire tout le temps où le cerveau n’est pas encore structuré. Ensuite, l’enfant doit rencontrer l’autorité. La vraie positivité, c’est de découvrir la négativité du réel, non de créer un espace pour l’enfant où rien n’est rugueux. L’éducation positive, bienveillante et non-violente, séduit beaucoup de catholiques, parce qu’elle semble nourrir l’enfant d’amour et rendre compatible les découvertes neurologiques avec l’Évangile. Bien sûr, bienveillance et empathie sont d’excellents principes éducatifs, mais il faut réaliser combien dans ce culte de la positivité se joue en réalité un appauvrissement de l’amour. L’amour ne s’incarne pas seulement dans l’écoute et l’empathie présente, mais aussi dans l’autorité et la vision à moyen terme.


Naissance de l’enfant roi

Comme l’écrit le psychologue suédois David Eberhard, aujourd’hui l’enfant est roi : il a « pris le pouvoir ». Il devient le maître de ses parents, et non de lui-même. Or, il y a un moment où l’autorité doit être ferme et prendre des décisions. Paradoxalement, cette conception de l’éducation qui met l’enfant au centre de la famille s’accompagne de sa disparition ! Plus nos sociétés affirment aimer l’enfant, moins elles en font ! Les sociétés modernes qui créent une théocratie de l’enfant font de l’enfant une rareté !


Réhabiliter la punition

L’enfant a besoin d’une discipline qui ne soit ni molle, ni mièvre. La punition lui montre qu’il y a une autorité. Il y a quelque chose de très puritain dans le refus du corps à corps avec l’enfant, dans l’interdiction de la gifle, dans ce désir de régler tous les problèmes avec le langage seul. À force d’envelopper l’enfant dans un cocon, comme un bouddha enfermé dans son château enchanté, au milieu de serviteurs, nous pouvons nous interroger : comment fera-t-il face à la réalité ? L’enfant doit au contraire rencontrer des difficultés, des insatisfactions. Il doit comprendre qu’il n’est pas le monarque. 


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